Si dans les campagnes, les travaux agricoles constituaient l’essentiel de l’activité, un artisanat rural s’est développé dès les premiers siècles du Moyen Âge. Lors de la mauvaise saison, une fois les labours achevés, dans l’attente des beaux jours et de la reprise des travaux dans les champs, les paysans occupaient leurs loisirs forcés en de multiples activités, qui leur procuraient des revenus supplémentaires. Certains fabriquaient des outils, d’autres faisaient de la poterie, d’autres encore tissaient des toiles à partir de fibres de lin ou de chanvre, d’autres forgeaient. Quelques-uns se livraient à des travaux de vannerie, tandis que certains confectionnaient des petits objets de tous les jours, des ustensiles divers ou des objets en cuir (sacs, sacoches, mais aussi peaux pour les reliures ou autre). L’intendant du seigneur était chargé de répartir le travail : chaque jour, il distribuait les tâches à accomplir aux ouvriers (serfs ou manants) qui exploitaient les terres du domaine. Dans les tenures, les tenanciers s’organisaient pour s’entraider afin de réaliser au mieux tous les travaux nécessaires.
Dans les villes, les artisans de chaque métier se regroupaient en « corporations », « guildes » ou « jurandes », afin de codifier les pratiques et de réguler la concurrence. On distinguait les apprentis (qui apprenaient le métier, pendant plusieurs années), qui devenaient ensuite compagnons, c’est-à-dire ouvriers qualifiés. Ils pouvaient devenir maîtres à condition d’avoir les moyens de s’installer à leur compte. Parmi ceux qui n’avaient pas les moyens de s’installer, certains commencèrent à s’organiser en associations professionnelles de soutien et d’entraide et à voyager (« tour de France ») pour se perfectionner et acquérir des connaissances supplémentaires. Les tailleurs de pierre, qui allaient de chantier en chantier (pour construire les cathédrales, à partir du XIIe siècle, en particulier) furent peut-être les premiers à agir ainsi. Une ordonnance de Charles VI (1380-1422), en 1419, concerne les compagnons cordonniers « qui allaient de ville en ville ouvrer pour apprendre, connaître, voir et savoir les uns des autres » atteste l’existence de ce genre de pratique.
Au XVIe siècle, de nombreux documents judiciaires nous font connaître ces jeunes ouvriers qui voyageaient, s’entraidaient, pratiquaient des rites en diverses circonstances et possédaient des attributs et un vocabulaire identitaires. De 1514 à 1580, les compagnons imprimeurs lyonnais et genevois étaient organisés en associations de défense, voyageaient, faisaient grève, tenaient des cérémonies de réception et avaient des signes de reconnaissance (ce sont les plus anciens rites connus).