Les Alchimistes au Moyen Âge

Ensemble de pratiques et de spéculations relatives à la supposée transmutation des métaux, l’alchimie est connue en Occident dès l’Antiquité : les Égyptiens, puis les Grecs, s’intéressèrent très tôt à la structure de la matière et aux moyens d’essayer de la changer. Le mot alchimie viendrait du grec ancien « khemeia » (= mélange, mixture) par l’intermédiaire de l’arabe « al kimiya ».

On attribuait à Hermès Trismegiste (= Hermès trois fois grand) la création de l’alchimie ; ce personnage, à  la fois philosophe, astrologue et médecin, aurait vécu au IIe siècle avant Jésus-Christ en Égypte. Mais certains l’assimilaient au dieu égyptien Thot et le disaient « rassembleur » ; il serait le « secrétaire des dieux » dans la mythologie grecque.

Ce sont, en effet, les Arabes, qui ont transmis au monde chrétien l’alchimie grecque, largement développée par eux. L’apogée de l’alchimie arabe s’est située du IXe au XIe siècle. Le polymathe Jabir ibn Hayyan (connu en Occident sous le nom de Geber) (721-815) découvrit l’acide nitrique, l’acide sulfurique et l’eau régale. Le médecin et alchimiste persan Abu Bakr Mohammad ibn Zakanya al Razi (dit Al Razi en Occident) (865-925) étudia les métaux et leurs caractéristiques.

Aux XIIe et XIIIe siècles, de nombreux traités d’alchimie furent traduits de l’arabe en latin : en 1144 Robert de Chester traduisit en latin un livre de l’arabe Morenius Romanus, puis, vers 1210, le savant Michael Scot écrivit plusieurs ouvrages sur le sujet, suivi par Roger Bacon qui rédigea, vers 1270, le « Secret des secrets ».

Au Moyen Âge (surtout à partir du XIIe siècle), cette science occulte fut très en vogue en Occident chrétien. Née de la fusion de techniques chimiques réelles, gardées secrètes, et de spéculations mystiques, l’alchimie se développa dans les milieux intellectuels, de nombreux savants la pratiquant en parallèle avec la médecine, l’astrologie et d’autres sciences.

Un des objectifs essentiels de l’alchimie était le « grand œuvre », c’est-à-dire la réalisation de la « pierre philosophale » censée permettre la transmutation des  métaux « vils » (comme le plomb) en métaux « nobles » (l’or ou l’argent). Cette recherche de la transformation du plomb en or a constitué une préoccupation constante des alchimistes pendant plus de six siècles.

Un autre objectif était la recherche de la « panacée » (médecine universelle) pour obtenir la prolongation de la vie terrestre, via un « élixir de longue vie ». Au XVIIIe siècle, un aristocrate féru de sciences occultes, le Comte de Saint-Germain, prétendait être en possession du secret permettant d’accéder à une vie longue de plus d’un siècle.

Dès le XIIe siècle, les alchimistes occidentaux se dotèrent de laboratoires assez élaborés : ils disposaient de cornues, d’alambics, de mortiers, d’éprouvettes, de fours et même de balances assez précises.

Les alchimistes comme Albert le Grand, Vincent de Beauvais, Arnaud de Villeneuve ou Roger Bacon se préoccupaient des structures profondes de la nature et des aliénations des éléments naturels, mais confondaient l’alliage des métaux, la fabrication des remèdes, les recettes de simple mélange et les formules plus ou moins magiques. Ils se fondaient sur l’idée platonicienne de l’unité et de l’universalisme de la matière. Ils empruntaient aussi à Aristote (les connaissances en chimie et en philosophie grecques ayant été transmises par les Arabes, généralement en provenance d’Espagne, notamment Abou al Rachid ibn Rushd, connu en Occident comme Averroès qui  vécut à Cordoue de 1126 à 1198) une dérivation de sa théorie des quatre éléments : tout corps est composé de terre et d’eau, d’air et de feu ; il suffit de modifier leur combinaison pour changer la nature des corps.

Les théologiens émettaient des réserves (pour eux, on ne saurait changer la matière, œuvre de Dieu), mais de nombreux savants s’intéressaient à l’alchimie. Albert le Grand professait qu’on devait pouvoir produire des métaux artificiels, presque semblables aux métaux naturels, tandis que Vincent de Beauvais (qui écrivit un « Miroir naturel », au milieu du XIIIe siècle) pensait que tous les métaux étaient le produit d’une réaction du mercure sur le soufre dans le noyau de la terre. Roger Bacon, philosophe lucide et esprit scientifique, affirmait que la transmutation était possible, même s’il n’en avait pas trouvé la recette. Même saint Thomas d’Aquin tenait l’alchimie pour un art raisonnable et difficile. Vers la fin du XIIIe siècle, le médecin catalan Arnaud de Villeneuve réunit dans son ouvrage intitulé « Le Rosaire », la médecine (réflexion sur les corps vivants) et l’alchimie (réflexion sur les corps inertes). Un carme catalan, Guillaume Sedacer, rédigea un « Liber alterquinus », à le recherche de la pierre philosophale, introduisit les formules cabalistiques et un vocabulaire crypté, destiné à réserver la science de l’alchimie aux seuls initiés.

Ce ne fut que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que les travaux du chimiste Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), qui sépara l’oxygène et l’hydrogène de l’eau, firent entrer la chimie dans la modernité en devenant une véritable science.