Déjà, aux IIe et IIIe siècles de notre ère, quelques esprits brillants avaient ressenti la nécessité d’instituer un calendrier propre aux Chrétiens. Mais, en raison des persécutions, puis des difficultés du calcul, aucune suite ne fut donnée au projet.
Dans les premières années du VIe siècle, un nouveau pape, du nom de Jean Ier, 56e successeur de Saint Pierre, monta sur le trône pontifical en l’an 523 (calculé selon notre chronologie, car nous étions alors en 1276 Ab Urbe Condita). Il s’intéressa très vite à ce problème et confia à un moine d’origine scythe (né en Petite Scythie, de nos jours dans la province de Dobroudja, soit en Roumanie, sur les bords de la Mer Noire), du nom de Denys le Petit (en latin Dyonisius exiguus), la mission d’établir un nouveau calendrier.
Denys le Petit, né aux environs de 470, venu à Rome, au début du siècle, âgé d’une trentaine d’années, pour devenir abbé d’un monastère, ne nous est connu que par un paragraphe du sénateur Cassiodore (480-575), dont Denys fut le compagnon pendant un temps. Sa maîtrise du grec et du latin fit de lui le traducteur d’un grand nombre d’ouvrages. Il avait la réputation d’être un des plus grands savants de son temps, mais il nous est surtout connu pour son œuvre de canoniste (le « Dionysiana »). Naturellement il fut choisi par le pape pour effectuer les calculs nécessaires à la refonte du calendrier et à l’établissement de la chronologie de l’histoire de la chrétienté.
Après bien des calculs, il proposa, en 525 de notre ère (soit en 1278 du calendrier romain Ab Urbe Condita) un nouveau calendrier : on ne compterait plus les années à partir de la Fondation de Rome, mais avec comme point de départ un événement majeur pour les Chrétiens, la naissance du Christ.
Restait à calculer la date exacte de cette naissance. Prenant les textes disponibles alors, il les étudia, confronta leurs indications avec les Annales tenues par les pontifes romains et, toutes ces informations mises en ordre, conclut que l’Incarnation du Christ avait eu lieu le 25 décembre l’an 753 de la Fondation de Rome. Le jour de la Nativité (natalis dies en latin, qui a donné Noël) fut donc déclaré le début de l’année de l’Incarnation. Le zéro n’existant pas dans la numération du VIe siècle (il n’apparut qu’au XIIe siècle), l’an I de l’ère chrétienne coïncida avec l’an 754 de la Fondation de Rome.
Des calculs précis, effectués de nos jours, ont permis de déterminer qu’en fait Denys le Petit s’était trompé de 4 années. Nous ne sommes donc pas en 2022. Mais un calendrier est en fait une convention, établie de manière pratique pour que les gens puissent communiquer sur des bases communes. Alors, nous dirons que, par convention, nous sommes bien en l’an 2022.
De la même façon, il est possible d’effectuer d’autres calculs, selon les mêmes méthodes que celles employées par Denys le Petit, pour établir une chronologie de la vie du Christ. C’est ainsi qu’on peut déterminer la date exacte (selon lui) de la première Pâques chrétienne : en l’an 33 de notre nouvelle ère, Jésus était mort le vendredi 3 avril. Le sabbat ayant commencé dès le vendredi soir, au coucher du soleil, selon la tradition juive, il n’était pas question, pour les femmes chargées des soins du corps du défunt, de rendre les honneurs funèbres lors de la trêve sacrée. Le cadavre fut donc placé dans un tombeau provisoire, dont l’entrée fut fermée par une pierre. Le surlendemain, ou « troisième jour », le dimanche 5 avril, les femmes revinrent devant la tombe dans le but de procéder à l’embaumement. C’est alors qu’elles trouvèrent la pierre roulée sur le côté et le tombeau vide : le Christ avait ressuscité !
Si Denys le Petit plaçait ces événements en l’an 33 de notre ère, il convient toutefois de noter que, dès le Haut Moyen Âge, certains historiens chronologistes avaient exprimé des opinions différentes. Par exemple, vers le milieu du Ve siècle, Victorius d’Aquitaine. Né à Limoges au début du Ve siècle, Victorius Aquitanus était un calculateur particulièrement doué. Il effectua des calculs similaires, à l’aide des mêmes textes comme sources de ses études, et rédigea, en 457 de notre calendrier, un traité intitulé « Cursus paschalis » sur le comput, mais il déterminait que la Passion du Christ avait eu lieu en l’an 781 de la chronologie romaine (et non 786 comme l’affirmait Denys le Petit). Par conséquent, le Sauveur était né en décembre de l’année 748 Ab Urbe Condita (et non en 753). La différence était donc de 5 ans et l’ère nouvelle aurait dû commencer en l’an 749 de la Fondation de Rome, selon la formule consacrée du calendrier romain.
Cependant, si, dans un premier temps, l’œuvre de Victorius d’Aquitaine fit autorité (puisque sa table pascale fut reconnue officiellement par le concile d’Orléans en 541), ce fut l’opinion de Denys le Petit qui prévalut et le calendrier officiel des Chrétiens, établi chaque année par les services de la papauté pour ordonnancer l’année liturgique, tint compte des prescriptions du computiste chargé de ce travail par le pape Jean Ier et l’on ne revint pas sur ses conclusions historiques. Il est toutefois nécessaire de préciser que le comput de Denys ne fut définitivement admis qu’à la fin du VIIIe siècle, notamment grâce à l’influence d’Alcuin (730-804), conseiller de Charlemagne, qui le fit adopter par l’empereur.